Réforme du régime des nullités en droit des sociétés (Ordonnance n° 2025-229 du 12 mars 2025)

La réforme des nullités en droit des sociétés est en marche avec l'introduction par l'Ordonnance n° 2025-229 du 12 mars 2025 d'un nouveau régime. Cette ordonnance, dont l'entrée en vigueur est prévue pour le 1er octobre 2025, ambitionne de moderniser, simplifier et sécuriser le droit des sociétés français en matière de nullités. Cette évolution législative répond aux critiques des praticiens du droit des sociétés, aux recommandations du Haut Comité Juridique de la Place financière de Paris et du Conseil d'État, et s'inscrit dans une démarche d'harmonisation avec la directive européenne 2017/1132. Cet article de blog décrypte les enjeux et les principales mesures de cette réforme des nullités.

Sommaire :

  1. Contexte et justification de la réforme

  2. Objectifs principaux de la réforme

  3. Affinement du contrôle judiciaire sur les nullités

  4. Encadrement des effets des nullités

  5. Réduction du délai de prescription de l'action en nullité

  6. Le régime spécifique pour les augmentations de capital, les fusions et les scissions

  7. Réorganisation et clarification des sources légales

  8. Clarification des causes de nullité

  9. L’impact sur l’intérêt social et prise en considérations des enjeux sociaux et environnementaux 

  10. Précision de la terminologie

  11. Clarification de la nullité pour violation des statuts

  12. FAQ:Questions fréquentes relatives à la réforme

1. Contexte et justification de la réforme :

La réforme est motivée par un constat partagé de complexité, d'incertitudes et de risques liés au régime des nullités en droit des sociétés. L'article souligne que "le régime des nullités en droit des sociétés fait l’objet d’un constat partagé des praticiens qui en soulignent la complexité, les incertitudes et les risques." Les conséquences négatives des nullités, notamment la possibilité de nullités en cascade fragilisant la société et ses parties prenantes, ont également justifié cette révision. De plus, une harmonisation avec la directive européenne de 2017 était nécessaire. L'ordonnance s'appuie sur les conclusions d'un rapport du Haut Comité Juridique de la Place financière de Paris (27 mars 2020) et les recommandations du Conseil d'État (4 juillet 2024).

2. Objectifs principaux de la réforme :

La réforme poursuit deux objectifs majeurs :

  • Sécurisation des décisions sociales et le cantonnement des nullités : L'objectif est de "renforcer la sécurité juridique, en circonscrivant le risque de nullités, et les incertitudes de leur mise en œuvre."

  • Simplification et clarification du régime des nullités : Il s'agit de rendre le droit des nullités plus accessible et prévisible.

3. Affinement du contrôle judiciaire sur les nullités :

Désormais, il n’existe plus d’automatisation du prononcé de la nullité, qui est écartée au profit d'un "triple test" intégré dans un nouvel article 1844-12-1 du code civil (https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGIARTI000051317310/2025-03-14).

Avant de prononcer la nullité, le juge doit vérifier :

  • L'existence d'un grief pour le demandeur ("qui doit établir que l’irrégularité a lésé ses intérêts") ;

  • L'influence de l'irrégularité sur le sens de la décision contestée ;

  • La proportionnalité entre les conséquences de l'irrégularité et celles de l'annulation de la décision.

Certaines causes de nullité sont expressément exclues de ce contrôle judiciaire. Dans ces hypothèses, l’application du dispositif de l’article 1844-12-1 nouveau est expressément écarté.

Le cantonnement se manifeste également par un encadrement des effets des nullités.

4. Encadrement des effets des nullités :

Pour limiter les nullités dites « en cascade », l'ordonnance généralise une règle initialement prévue pour les sociétés par actions : "les irrégularités de désignation ou de composition d’un organe social n’entraînent pas, par elles-mêmes la nullité des décisions subséquentes".

Le juge est également autorisé à "différer dans le temps les effets de la nullité".

Ce dispositif, qui consacre certaines solutions jurisprudentielles préexistantes, propose au juge de mettre en balance la gravité de l’irrégularité invoquée et les conséquences potentiellement déstabilisatrices de l’annulation pour la société. Cette approche concrète et pragmatique, inspirée du contrôle de proportionnalité développé en droit administratif, permet une individualisation du traitement des nullités.

Toutefois, l’ordonnance prend soin d’identifier les cas dans lesquels ce contrôle judiciaire est exclu, préservant ainsi certaines nullités impératives considérées comme fondamentales pour l’ordre juridique.

5. Réduction du délai de prescription de l'action en nullité :

Le délai d’action est réduit de trois à deux ans.

6. Un régime spécifique pour les augmentations de capital, les fusions et les scissions :

Dans les sociétés cotées, l’action en nullité n’est plus possible à compter de la réalisation de l’opération.

Dans les autres sociétés, l’action en nullité est ouverte pendant un délai de trois mois.

Les dispositions relatives aux nullités des fusions et scissions sont relocalisées et clarifiées au sein des articles L. 236-2-1 et L. 236-19-1 du Code de commerce. Pour ces opérations, le délai d’action est de 6 mois. Le régime juridique consacre plusieurs principes essentiels :

  • La nullité d’une fusion ne peut résulter que de la nullité de la délibération de l’une des assemblées ayant décidé l’opération ou du défaut de dépôt de la déclaration de conformité ;

  • Le juge dispose d’un pouvoir de régularisation, lui permettant d’accorder un délai aux sociétés intéressées pour remédier à l’irrégularité ;

  • Les obligations nées entre la date de prise d’effet de l’opération et celle de la publication de la décision de nullité sont préservées ;

  • Une responsabilité solidaire des sociétés ayant participé à l’opération est prévue pour l’exécution de ces obligations.

7. Réorganisation et clarification des sources légales :

La réforme vise à restituer aux articles 1844-10 et suivants du code civil leur fonction de droit commun, en venant abroger les dispositions de portée générale qui figuraient dans le code de commerce (articles L. 235-1 du code de commerce et suivants).

Certaines dispositions du code de commerce sont intégrées au code civil, tandis que d'autres concernant les restructurations et opérations sur capital sont relocalisées dans le code de commerce.

Au regard de la confusion qu’il pouvait exister entre le contenu du droit écrit (textes de nullités pour les sociétés, issus de la loi du 24 juillet 1966) et le droit réellement appliqué, la réforme de cette nouvelle Ordonnance de 2025 vient mettre le droit positif en conformité avec la directive européenne de 2017, et étend son régime à l'ensemble des formes sociales.

8. Clarification des causes de nullité "dispositions impératives" :

Le critère formel de localisation des dispositions impératives (au sein de titres spécifiques du code civil ou du commerce) est remplacé par le critère matériel du « droit des sociétés » plus conforme à la jurisprudence.

Cette notion, volontairement plus souple et adaptative, permet d’intégrer l’ensemble des règles relatives aux droits et obligations des associés, à l’organisation et au fonctionnement des sociétés, ainsi qu’aux opérations sur le capital, quelle que soit leur localisation dans l’ordonnancement juridique. Cette évolution traduit une approche fonctionnelle des nullités, centrée sur la substance des règles protégées plutôt que sur leur situation formelle.

9. L’impact sur l’intérêt social et prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux :

La réforme supprime l’exception prévue à l’article 1844-10 du Code civil (https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000038589913) qui excluait expressément toute possibilité d’annulation fondée sur la violation de l’alinéa 2 de l’article 1833 (obligation de prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux). Cette suppression, justifiée par la Chancellerie comme corrigeant une « confusion du législateur », suscite néanmoins des interrogations.

Désormais, la violation de l’obligation de prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux peut théoriquement constituer une cause de nullité des décisions sociales. Cette évolution s’inscrit dans une tendance plus large d’intégration des considérations extra-financières dans la gouvernance des sociétés. Toutefois, les critères imprécis de ces notions et leur appréciation nécessairement subjective risquent d’ouvrir la voie à un contentieux accru.

10. Précision de la terminologie :

Les notions "d’actes et de délibérations" issues de la Loi du 24 juillet 1966 ne sont plus retenus, et ne sont visées par le nouveau régime de nullités que les "décisions sociales", dès lors qu’il s’agit d’actes décisionnels internes de la société, en y incluant les assemblées d'obligataires.

Sont exclus de cette terminologie, les conventions passées avec les tiers (les actes), qui obéissent au droit commun des contrats, et ne doivent pas être soumis aux nullités spécifiques du droit des sociétés.

11. Clarification de la nullité pour violation des statuts :

Un principe général d'exclusion de la nullité pour violation des statuts est posé, mais avec la possibilité de dispositions dérogatoires.

Il existe en conséquence un dispositif spécial mis en place pour les sociétés par actions simplifiées (SAS), où "les statuts peuvent prévoir la nullité des décisions sociales prises en violation des règles qu’ils ont établies". L'action en nullité dans ce cas relève alors du droit commun des nullités du code civil.

12. FAQ : Questions fréquentes relatives à la réforme

Pourquoi cette réforme du régime des nullités en droit des sociétés a-t-elle été mise en place ?

La réforme répond à un constat partagé par les praticiens concernant la complexité, les incertitudes et les risques liés au régime des nullités en droit des sociétés. Elle vise également à harmoniser le droit français avec la directive européenne de 2017 et à limiter les conséquences négatives des nullités en cascade qui peuvent fragiliser les sociétés et leurs parties prenantes.

Quels sont les objectifs principaux de cette réforme ?

La réforme poursuit deux objectifs majeurs :

  • ·       Renforcer la sécurité juridique en circonscrivant le risque de nullités et les incertitudes liées à leur mise en œuvre

  • ·       Simplifier et clarifier le régime des nullités pour le rendre plus accessible et prévisible

Sur quelles bases cette réforme a-t-elle été élaborée ?

Cette réforme s'appuie sur les conclusions d'un rapport du Haut Comité Juridique de la Place financière de Paris (du 27 mars 2020) et les recommandations du Conseil d'État (du 4 juillet 2024).

Quand cette réforme est-elle entrée en vigueur ?

L’entrée en vigueur de l'Ordonnance n° 2025-229 du 12 mars 2025 est prévue pour le 1er octobre 2025.

Comment fonctionne le nouveau "triple test" que doit appliquer le juge avant de prononcer une nullité ?

Avant de prononcer la nullité d'une décision sociale, le juge doit désormais vérifier trois conditions cumulatives (article 1844-12-1 du code civil) :

  1. L'existence d'un grief pour le demandeur, qui doit établir que l'irrégularité a lésé ses intérêts

  2. L'influence de l'irrégularité sur le sens de la décision contestée

  3. La proportionnalité entre les conséquences de l'irrégularité et celles de l'annulation de la décision

Existe-t-il des exceptions à l'application de ce "triple test"?

Oui, certaines causes de nullité sont expressément exclues de ce contrôle judiciaire. Dans ces hypothèses, l'application du dispositif de l'article 1844-12-1 nouveau est écartée.

Comment la réforme limite-t-elle les effets des nullités "en cascade"?

Pour limiter les nullités dites "en cascade", l'ordonnance généralise une règle initialement prévue pour les sociétés par actions : "les irrégularités de désignation ou de composition d'un organe social n'entraînent pas, par elles-mêmes, la nullité des décisions subséquentes".

Le juge peut-il moduler les effets d'une nullité prononcée?

Oui, le juge est désormais autorisé à "différer dans le temps les effets de la nullité", ce qui lui permet d'adapter les conséquences de sa décision à la situation concrète de la société.

Quel est le nouveau délai de prescription pour l'action en nullité ?

Le délai d'action en nullité est réduit de trois à deux ans.

Quelles sont les règles spécifiques concernant les augmentations de capital dans les sociétés cotées / non côtées ?

Dans les sociétés cotées, l'action en nullité n'est plus possible à compter de la réalisation de l'opération d'augmentation de capital.

Dans les sociétés non cotées, l'action en nullité relative aux augmentations de capital est ouverte pendant un délai de trois mois.

Quelles sont les règles concernant les nullités de fusion et scission ?

Pour les fusions et scissions, le délai d'action en nullité est de 6 mois. Le régime juridique prévoit que :

  • La nullité d'une fusion ne peut résulter que de la nullité de la délibération de l'une des assemblées ayant décidé l'opération ou du défaut de dépôt de la déclaration de conformité

  • Le juge dispose d'un pouvoir de régularisation, lui permettant d'accorder un délai aux sociétés concernées pour remédier à l'irrégularité

  • Les obligations nées entre la date de prise d'effet de l'opération et celle de la publication de la décision de nullité sont préservées

  • Une responsabilité solidaire des sociétés ayant participé à l'opération est prévue pour l'exécution de ces obligations

Comment la réforme réorganise les sources légales des nullités ?

La réforme a restitué aux articles 1844-10 et suivants du code civil leur fonction de droit commun, en abrogeant les dispositions de portée générale qui figuraient dans le code de commerce (articles L. 235-1 et suivants). Certaines dispositions du code de commerce ont été intégrées au code civil, tandis que d'autres concernant les restructurations et opérations sur capital ont été relocalisées dans le code de commerce.

Comment la notion de "dispositions impératives" a-t-elle été clarifiée ?

Le critère formel de localisation des dispositions impératives a été remplacé par le critère matériel du "droit des sociétés". Cette notion, plus souple et adaptative, permet d'intégrer l'ensemble des règles relatives aux droits et obligations des associés, à l'organisation et au fonctionnement des sociétés, ainsi qu'aux opérations sur le capital, quelle que soit leur localisation dans l'ordonnancement juridique.

Quelle terminologie est désormais retenue par la réforme ?

La réforme abandonne les notions "d'actes et de délibérations" issues de la Loi du 24 juillet 1966. Désormais, seules sont visées les "décisions sociales", dès lors qu'il s'agit d'actes décisionnels internes de la société, en y incluant les assemblées d'obligataires. Sont exclus les conventions passées avec les tiers (les actes), qui obéissent au droit commun des contrats.

La réforme a-t-elle un impact sur la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux ?

Oui, la réforme supprime l'exception prévue à l'article 1844-10 du Code civil qui excluait expressément toute possibilité d'annulation fondée sur la violation de l'obligation de prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux (article 1833, alinéa 2). Désormais, la violation de cette obligation peut théoriquement constituer une cause de nullité des décisions sociales.

Qu'est-ce qui est prévu concernant la nullité pour violation des statuts ?

La réforme pose un principe général d'exclusion de la nullité pour violation des statuts, mais avec la possibilité de dispositions dérogatoires. Un dispositif spécial est mis en place pour les sociétés par actions simplifiées (SAS), où "les statuts peuvent prévoir la nullité des décisions sociales prises en violation des règles qu'ils ont établies". L'action en nullité dans ce cas relève alors du droit commun des nullités du code civil.

Cette réforme s'applique-t-elle à toutes les formes de sociétés ?

Oui, la réforme étend le régime des nullités à l'ensemble des formes sociales, alors qu'auparavant, certaines dispositions étaient spécifiques à certains types de sociétés.

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